De
notre envoyée spéciale à Marseille, Brigitte Hernandez
Le
premier trésor du Musée des civilisations de l'Europe et de la
Méditerranée, c'est le bâtiment lui-même, pensé, conçu, réussi par Rudy
Ricciotti, "l'archi provençal" comme il se définit, provoc' et sans
limites. On a déjà tout dit et tout montré sur la résille de béton qui
embrasse le béton lifté de très haute qualité de ce cube noir. Mais il
faut le répéter, car le miracle se vit désormais à l'intérieur, sur les
coursives qui font du bouche-à-bouche avec la mer, ces grands poteaux
plantés dans le sol et ces filins comme des haubans qui instillent dans
l'esprit du visiteur la sensation de visiter un navire.
Ce
musée aurait dû se nommer "Grand large", tant la profondeur des vues
est immense, dès qu'on en franchit le seuil. Et il est à voir de nuit,
absolument - les passerelles permettent de le regarder bien en face de
l'extérieur -, car un autre MuCEM prend alors vie grâce aux milliers de
leds que l'artiste Yann Kersalé a nichées sur la façade en se "laissant
guider par l'idée d'un parcours géopoétique (pour) faire vivre l'heure
bleue, là où tout bascule".
La galerie de la Méditerranée
Le
premier et bel espace permanent - "du moins pour trois ans", ainsi que
le précise Zeev Gourarier, conservateur du patrimoine et directeur des
collections du MuCEM - réunit les témoignages de notre évolution dans
le berceau méditerranéen. Grâce à une scénographie en terrasses, à
l'image des restanques agricoles, les visiteurs commencent la visite
avec le pingouin qui témoigne qu'il y a dix millions d'années le bassin
était... froid. Le parcours est didactique. "Nous avons voulu offrir ici
une vision en plusieurs temps : l'invention des agricultures
concomitante avec l'apparition des dieux. Puis Jérusalem, la ville trois
fois sainte. Ensuite, nous abordons la citoyenneté, les droits de
l'homme, les cités libres."
De
fait, la promenade, qui se veut instructive, se révèle bien décevante.
Les grands écrans censés résumer le sens de chaque étape livrent des
images banales, les objets provenant des collections du MuCEM semblent
perdus dans un assemblage sans grande direction.
Le fort Saint-Jean
Sur
le toit-terrasse qui a lui seul vaut une visite (restaurant, ombre et
vues stupéfiantes), la belle passerelle noire nous conduit du bâtiment
principal, "le J4", au fort Saint-Jean, défense construite par Vauban sur l'ordre de Louis XIV
qui a ainsi coupé et menacé Marseille en pointant les canons du fort...
sur la ville. "Ici, dit l'architecte Roland Carta, le siècle classique
de Louis XIV voisine avec l'église du XIIe. J'ai vraiment insisté pour
qu'on relie par une passerelle (identique à celle qui relie le J4 au
fort) la ville et le fort. Rudy Ricciotti a accepté, et finalement, le
maire aussi."
Constitué des merveilles du musée des Arts
populaires, le musée du fort Saint-Jean abrite les exposions permanentes
et séduit d'emblée, alors que toutes les salles ne sont pas terminées.
Gloire soit rendue à Zette Casadas, la muséographe, qui a su dégager une
réelle évidence à l'exposition Le temps des loisirs. "Un fort contraint
à une muséographie éclatée, explique-t-elle. Je me suis attachée à des
installations autonomes. La chapelle avec ses 11 mètres de hauteur et
son peu de profondeur, je l'ai imaginée comme un retable contemporain.
En fait, il faut comprendre tous ces espaces comme des cabinets de
curiosités : des
curioseadas, inventées à l'échelle de chaque lieu."
Surplombant
l'esplanade, une sculpture en résine de quatre visages féminins saluant
l'est, l'ouest, le nord et le sud (et figurant l'oeil et l'esprit
ouverts à tout) cache un castelet, théâtre miniature dans un théâtre
surprenant et qui s'ouvrira aux marionnettistes.
Les expositions temporaires
La
plus aboutie des expos temporaires est sans conteste Le noir et le
bleu, un rêve méditerranéen, couleurs célébrant la face obscure de
l'homme telle que Goya
la révéla dans ses peintures noires et l'éclat aveuglant de la mer et
du ciel. Thierry Fabre, le commissaire de l'exposition, ouvre l'espace
avec un immense Miro et les petits formats des gravures de Goya. Et l'on
suit les ondulations du bassin méditerranéen en peintures d'abord avec
les grandes toiles de Joseph Vernet. Viennent les conquêtes, la Grèce
mère antique, les villes, les échanges, les massacres... Chaque
proposition s'inscrit dans un espace bien déterminé et toujours ouvert
de façon à ce que le visiteur puisse sans gêne y entrer et en sortir
pour voir ce qu'il y a en face.
Les documents filmés (Pathé) sont formidables et la photographie occupe une grande part de l'exposition :
la mafia par Franco Zecchin n'est pas bien loin des
Grandes Vagues de
Le Gray, le Beyrouth ravagé de Gabriele Basilico se voit, s'entend en
écho aux clichés de 1943 de la destruction du Vieux-Port de Marseille ou
à ceux magnifiques de Capa en Espagne ; les plages de Massimo Vitali,
écrasées de lumière blanche, renvoient à la table-miroir de Michele
Pistoletto réunissant tous les pays du bassin. Une exposition à la
hauteur des lieux, sublime.
http://www.lepoint.fr/culture/mucem-splendeur-mediterraneenne-04-06-2013-1676143_3.php